Donner la mort n’est pas un soin

 

Donner la mort n’est pas un soin

Paris, le samedi 26 mai 2018 – Initialement non programmées, les discussions portant sur l’accompagnement de la fin de vie ont constitué l’un des sujets les plus débattus au cours de la phase de concertation publique des Etats généraux de bioéthique.

Si la question ne devrait cependant pas figurer au menu des lois de bioéthique, la multitude des échanges rappelle aux pouvoirs publics son importance et l’adhésion de plus en plus marquée d’une grande partie de la société à l’idée de légaliser l’euthanasie. Signe majeur de cette évolution, les professionnels de santé, longtemps majoritairement opposés à la possibilité d’adopter cette pratique, semblent aujourd’hui favorables à une telle mesure comme le révèle un sondage récent réalisé sur notre site.

De plus en plus de médecins choisissent en outre de défendre publiquement les arguments en faveur d’une légalisation de l’euthanasie, tel le professeur Jean-Louis Touraine, interrogé par le JIM le 25 mai 2018.

Tous les praticiens cependant ne partagent pas cette conviction. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) a toujours refusé de considérer l’euthanasie comme pouvant s’inscrire dans le processus thérapeutique. Déjà, en 2013, dans nos colonnes, le précédent président de la SFAP, le docteur Vincent Morel refusait que la question de l’accompagnement des personnes en fin de vie se résume à un débat manichéen « pour ou contre l’euthanasie ». Il préférait évoquer la nécessité d’une meilleure connaissance de la loi Leonetti et des soins palliatifs dont il signalait que 70 % des lits étaient concentrés dans cinq régions.

Aujourd’hui, l’argumentation du docteur Anne de la Tour, présidente de la SFAP est proche. Au-delà, le praticien insiste sur les différences philosophiques fondamentales entre une société qui ferait le choix de l’euthanasie et celle qui s’y refuse.

A nos lecteurs d’affiner leur opinion en confrontant ce point de vue et celui, non moins serein et argumenté,  du Pr Jean-Louis Touraine

Par le Dr Anne de la Tour
Présidente de la SFAP*

« Quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s’il rend plus humain ou moins humain », George Orwell.

Un débat sur la fin de vie est en cours actuellement dans le cadre de la révision des lois de bioéthique.

La France a abordé les problèmes de fin de vie, en engageant depuis 1999 une politique de soins palliatifs et en faisant des choix législatifs forts. On compte aujourd’hui en France 138 unités de soins palliatifs (USP) , 424 équipes mobiles et 5 040 lits identifiés de soins palliatifs. La SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs) rassemble plus de 10 000 soignants et 6 000 bénévoles qui ont accompagné depuis près de trente ans plusieurs centaines de milliers de patients atteints de maladies graves dans toute la France. Forts de cette expérience, ils souhaitent prendre leur place dans ce débat compliqué.

Une anticipation insuffisante des situations de fin de vie, une ignorance des droits ouverts par les directives anticipées, un inégal accès aux soins palliatifs, une insuffisance de formation des médecins et des soignants pour gérer des situations complexes ainsi qu’une persistance de pratiques d’obstination déraisonnable peuvent expliquer la dénonciation régulière de ce que d’aucuns ont qualifié le « mal mourir » en France. Faut-il pour autant tourner le dos à ces lois et à ces bonnes pratiques, qui consacrent une voie française des traitements de la fin de vie par les soins palliatifs, en légalisant l’euthanasie et le suicide assisté ?

Des dispositions légales ignorées, une formation bâclée

La loi fait obligation aux soignants de mettre en œuvre tous les moyens pour soulager toutes les souffrances. Ces moyens doivent enfin être disponibles pour tous sur l’ensemble du territoire. La culture palliative ne peut se diffuser que si un effort massif de formation initiale et continue est entrepris. Il existe actuellement cinq postes de professeurs associés en soins palliatifs. Au regard des besoins et de nos 47 facultés de médecine, c’est notoirement insuffisant.

Les étudiants en médecine reçoivent actuellement moins de 10 heures de formation en soins palliatifs pendant toute la durée de leurs études. C’est bien trop peu. L’enseignement des soins palliatifs accuse un retard important par rapport à d’autres pays d’Europe. Ainsi, nos voisins britanniques forment-ils pendant cinq ans les médecins à cette discipline. Comment, dans un tel contexte, diffuser correctement cette culture du soin et de l’accompagnement ?

Bien qu’elles aient été précédées de 32 mois de discussion associant le CCNE, le rapport de la Commission Sicard, les contributions des ordres professionnels, des sociétés savantes, des Espaces éthiques, de l’Académie nationale de médecine et des partisans de la légalisation de l’euthanasie, les dispositions de la loi du 2 février 2016 continuent à être encore largement ignorées de l’opinion publique. D’après un sondage paru le 22 novembre 2016, 62 % des Français ne connaissaient pas les nouvelles règles concernant les directives anticipées qui doivent mieux garantir que la parole des patients sera entendue et écoutée. La loi rend plus contraignantes les directives anticipées qui s’imposent au médecin sauf si elles lui semblent manifestement inappropriées. Il doit alors indiquer dans le dossier médical les raisons qui lui font choisir de ne pas les suivre. La SFAP insiste sur la nécessité d’un dialogue entre soignants, patients et proches permettant une relation de confiance apaisée et conduisant à des choix acceptables par tous.

Qui veut vraiment mourir ?

Très peu de patients nous disent souhaiter mourir et bien moins encore nous le redisent lorsqu’ils sont soulagés et accompagnés. Qui ne préfèrerait pas mourir plutôt que de souffrir ? Cette demande bien compréhensible est d’abord une demande d’être aidé à vivre mieux comme le souligne le Dr Frédéric Guirimand dans un article de la revue Médecine Palliative paru en 2016 : sur 2157 patients admis en USP, 3% ont exprimé une demande d’euthanasie et 90% de ces demandes ont disparu après la mise en place de soins adaptés.

Par les deux lois de 2005 et de 2016 la France a fait le choix clair du refus de l’euthanasie pour préférer la voie d’un accompagnement digne et respectueux des personnes. Elle a fait le choix des soins palliatifs et tout au long des discussions parlementaires, les équipes de soins palliatifs ont lutté pour qu’une place soit laissée à la singularité. Aucune loi ne pourra jamais prétendre apporter une solution à toutes les situations complexes et éviter aux soignants le doute, le questionnement et la réflexion. Mais parce qu’on pourrait mourir mieux en France, la SFAP demande l’application de toutes les lois sur la fin de vie votées depuis 1999, préalablement à toute nouvelle entreprise législative.

Des philosophies profondément différentes

En effet, les soins palliatifs sont incompatibles avec l’euthanasie et le suicide assisté. Ces deux approches obéissent à deux philosophies radicalement différentes.

Les soins palliatifs préviennent et soulagent les souffrances. L’euthanasie vise à hâter la mort intentionnellement.

Les soins palliatifs sont des traitements, l’euthanasie correspond à un geste létal.

La légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté repose sur une éthique d’autonomie. Les soins palliatifs reposent sur une éthique de vulnérabilité et de solidarité collective.

Comment la transgression, même exceptionnelle, de l’interdit de tuer, pourrait-elle être sans effet sur tous ceux dont la mort approche et ceux qui les accompagnent ?

La SFAP considère ainsi que le principe de précaution devrait nous interdire de remettre en cause cet interdit de tuer, fondateur de toutes les civilisations depuis des millénaires et qui fonde le serment d’Hippocrate comme le code de déontologie médicale.

Les soins palliatifs ne sont pas nés d’abord de n’avoir pas su quoi faire devant celui qui meurt. Ils ne sont pas un cahier de recettes de Bonne Mort, ils sont d’abord une philosophie du soin et de la vie.

Ils sont nés d’un questionnement sur le sens d’une médecine, qui morcelle et qui divise l’homme. Ils ont lutté contre un système qui voudrait parfois réduire le patient au symptôme, la douleur au protocole et la souffrance à la loi.

Il est essentiel de laisser une place à la complexité, à la diversité des personnes et des situations. Faire se croiser des regards, des cultures et des clés de lecture. Parce que soigner n’est pas seulement l’affaire de la médecine, des médecins encore moins, mais celle de tous les soignants, de toute la société.

Nous vivons en société, nous faisons société. Nous ne sommes pas indépendants ; nous sommes inter-dépendants les uns des autres de notre naissance jusqu’à notre mort.

Une réflexion constante pour améliorer l’accompagnement de la fin de vie

Jamais dans toute l’histoire de l’humanité la médecine n’a permis comme aujourd’hui de soulager. Malgré tout, bien des questions restent ouvertes :
Qu’est-ce qu’un symptôme réfractaire ?
Qu’est-ce qu’un pronostic vital engagé à court terme ?
Quelle est la différence entre anxiolyse et sédation ?
Peut-on confondre sédation profonde et continue jusqu’au décès et euthanasie ?
À quoi et jusqu’où la demande d’un patient nous oblige-t-elle, nous soignants ?
Quelles sont les conditions et les limites de l’accompagnement à domicile ?
Comment concilier les demandes des citoyens de mourir en dormant et le devoir déontologique des
médecins d’adapter leur clinique au jour le jour ?

Sur toutes ces questions, la SFAP veut porter une parole juste, claire et rigoureuse s’appuyant sur des bases solides et validées. Elle a donc constitué un groupe de travail qui a engagé plusieurs pistes de réflexion en concertation avec son conseil scientifique pour permettre :

• la mise en place d’une typologie des pratiques sédatives permettant de “bien nommer” les choses et de ne pas confondre sous un vocable unique des situations très diverses. C’est la grille Sédapall.

• L’organisation d’une veille bibliographique internationale afin d’adosser ce travail de recherche à un apport scientifique argumenté.

• La rédaction de fiches repères permettant à chaque soignant de travailler dans le respect de ses valeurs et de celles de la SFAP. (Tous ces documents sont disponibles sur www.sfap.org).

La SFAP a également participé activement, avec nombre d’autres sociétés savantes, à la rédaction des recommandations de la HAS sur le sujet publiées en mars 2018. La recherche en soins palliatifs progresse pour améliorer sans cesse les conditions de la fin de vie en France.
Oui, on peut soulager les douleurs et les souffrances.
Oui, la loi permet le respect de la parole et des droits des patients par les directives anticipées et la désignation d’une personne de confiance.
Oui, la loi interdit l’acharnement thérapeutique qui crée des situations douloureuses et complexes.
Oui, la loi permet, dans certaines conditions, de faire dormir les patients avant de mourir pour ne pas souffrir.
Oui, les professionnels de santé sont les garants de la dignité de chacun(e) à toutes les étapes de la vie quelles qu’en soient les conditions et jusqu’à son terme ; il n’y a pas de vie indigne !
Oui le soin ultime doit être particulièrement sensible, marqué par un souci d’humanité et de solidarité.

Un contrat de confiance

Les soignants de soins palliatifs veulent continuer à prendre soin de leurs patients, à les écouter et à les soulager, à rester à leur côté jusqu’à la fin de leur vie. Ils refusent, tant du côté de l’acharnement thérapeutique que du côté de l’euthanasie, les tentations de la toute-puissance. Ils essaient de ne jamais oublier que chacune de leurs décisions vient dire à tous l’attention que notre société porte aux plus vulnérables.

Le contrat de confiance qui unit les soignés et les soignants interdit à ces derniers de faire du mal volontairement à autrui et encore moins de faire mourir.
Ils ne veulent pas donner la mort car donner la mort, même par compassion, n’est pas un soin.

*Société française d’accompagnement et de soins palliatifs

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